L’histoire de Stephora Anne-Mircie Joseph, 11 ans, a bouleversé la République dominicaine et profondément touché la communauté haïtienne. Derrière son sourire, son rêve de devenir modèle et son courage silencieux, se cachait une réalité douloureuse : le harcèlement quotidien qu’elle subissait à l’école en raison de sa couleur de peau et de ses origines haïtiennes.
Son décès tragique lors d’une sortie scolaire, le 14 novembre 2025, a ravivé un débat sensible mais nécessaire : la discrimination persistante envers les Haïtiens vivant en République dominicaine.
Une enfant humiliée pour son identité
Stephora était élève au Colegio Leonardo Da Vinci, à Santiago. Là où elle aurait dû trouver apprentissage, amitié et sécurité, elle rencontrait chaque jour moqueries, insultes et humiliations.
Selon les témoignages de sa mère, les autres élèves l’appelaient :
« maldita negra », « maldita haitiana »,
des mots lourds, violents, qui ont fini par marquer l’esprit d’une enfant de 11 ans.
À un moment, Stephora avait même exprimé le désir de changer la couleur de sa peau, signe d’un traumatisme profond. Sa mère, cherchant une façon de lui redonner confiance, l’avait inscrite à des cours de mannequinat. Contre toute attente, Stephora y avait brillé : elle avait défilé à la RD Fashion Week 2025 et rédigé un texte émouvant affirmant que « nous sommes toutes belles comme Dieu nous a créées ».
C’était sa manière de résister au rejet. Sa manière de s’aimer malgré l’hostilité.
Une mort entourée d’ombres
L’excursion organisée pour les élèves du “cuadro de honor” devait être une journée de réjouissance. Elle s’est transformée en drame.
Stephora est morte noyée dans la piscine de la Hacienda Los Caballos. Les circonstances restent floues :
- aucune image de surveillance n’a été remise à la famille,
- les autorités n’ont pas donné de version complète,
- les délais dans l’enquête suscitent indignation et suspicion.
Dix-sept jours après le drame, les parents n’avaient toujours reçu aucune explication solide. Ce silence a alimenté la douleur de la famille et l’indignation de nombreuses personnalités dominicaines, comme la présentatrice Clarissa Molina, qui exige vérité et justice.
Un cas qui réveille un problème ancien : la discrimination anti-haïtienne
Bien au-delà du destin tragique de Stephora, son histoire relance un débat que la société dominicaine peine à affronter :
→ le racisme systémique envers les Haïtiens et les descendants d’Haïtiens.
Depuis des décennies, beaucoup de familles haïtiennes vivant en République dominicaine témoignent de situations similaires :
- enfants moqués à l’école pour leur peau foncée ou leur nom,
- insultes ouvertes d’origine raciale,
- violences verbales normalisées,
- exclusion sociale,
- refus d’inscription dans certaines institutions,
- stéréotypes perpétués par des adultes eux-mêmes.
Le cas de Stephora met en lumière une réalité ignorée ou minimisée : la vulnérabilité extrême des enfants haïtiens dans le système éducatif dominicain, où les politiques anti-bullying existent sur le papier, mais restent largement inefficaces dans les faits.
L’indifférence institutionnelle : le poids le plus lourd
Lorsque les responsables d’une école ne prennent pas au sérieux les plaintes de discrimination, cela envoie un message dangereux :
humilier un enfant haïtien n’a pas vraiment de conséquence.
Dans l’histoire de Stephora, un élève identifié comme auteur de harcèlement aurait simplement reçu un « appel à la prudence ».
Rien de plus.
Aucun suivi, aucun accompagnement psychologique pour l’enfant victime.
Cette légèreté institutionnelle n’est pas un cas isolé : de nombreuses organisations de défense des droits humains dénoncent un manque de mécanismes sérieux pour protéger les élèves haïtiens contre la violence raciale.
Quand l’estime de soi devient un champ de bataille
Ce qui frappe dans le récit de Stephora, c’est que sa mère a dû recourir au mannequinat comme outil thérapeutique.
Faire défiler une enfant pour réparer ce que l’école avait détruit : sa confiance.
Le fait qu’une fillette de 11 ans ait déjà internalisé l’idée qu’elle devait changer sa peau pour être acceptée en dit long sur la profondeur du problème.
Le racisme n’est pas seulement une insulte :
c’est un poison lent, silencieux, qui s’infiltre dans l’esprit des plus jeunes.
Une affaire qui interpelle la diaspora et les autorités haïtiennes
Si le drame a suscité une forte réaction dans la société dominicaine, il interpelle également Haïti.
Les Haïtiens installés en RD représentent une communauté immense et essentielle à l’économie dominicaine. Pourtant, leurs enfants sont encore perçus comme “étrangers”, “indésirables” ou “inférieurs”.
L’affaire Stephora rappelle l’urgence pour :
- les autorités haïtiennes de mieux protéger leurs ressortissants ;
- les organisations bilatérales d’agir contre la xénophobie ;
- les écoles dominicaines d’adopter une tolérance zéro contre le racisme et le bullying ;
- les médias des deux pays de documenter ces cas sans complaisance.
Un drame qui doit devenir un tournant
Stephora était une enfant pleine de vie, passionnée, disciplinée et talentueuse.
Elle n’aurait jamais dû devenir le symbole d’un système qui échoue à protéger les plus vulnérables.
Son histoire, aussi douloureuse soit-elle, doit servir de point de départ :
👉 pour que la République dominicaine reconnaisse clairement la discrimination envers les Haïtiens,
👉 pour que les écoles assument leur responsabilité,
👉 pour que les enfants haïtiens se sentent enfin en sécurité, respectés et valorisés.
Parce qu’un pays se mesure à la manière dont il traite ses enfants.
Et Stephora mérite que son nom devienne synonyme de justice, pas de silence.
Roche magazine




